Simplification administrative
Entre paperasse et absurdités, le cri des agriculteurs jurassiens
Après des manifestations ayant réuni 200 agriculteurs jurassiens contre le Mercosur la semaine précédente, FDSEA et JA du Jura ont choisi de communiquer auprès du grand public pour expliquer et dénoncer les incohérences administratives que subissent quotidiennement les agriculteurs.
Christophe Buchet, Michael Weber et Jean-Marie Hervé ont invité la presse le 28 novembre dernier sur l’EARL Jeandot à Ruffey-sur-Seille pour dénoncer les entraves administratives et réglementaires. Une brouette remplie de classeurs et dossiers symbolisait la charge pesante de la bureaucratie sur la profession. « Cette opération s’inscrit dans la stratégie d’actions définie au niveau national, » explique le président de la FDSEA Christophe Buchet. « La première semaine était consacrée à l’opposition au traité de libre-échange du Mercosur, la seconde à la dénonciation de la surcharge et des incohérences normatives et administratives. La semaine prochaine, nous nous mobiliserons pour le revenu des agriculteurs. Le but de ces actions est de donner du poids à nos structures et représentants pour discuter avec le gouvernement, si tant est qu’on ait encore un gouvernement la semaine prochaine. »
Après les manifestations du printemps dernier, qui avaient déjà vu la profession s'élancer contre les lourdeurs administratives, quelques propositions ont été adoptées sur la centaine demandée. Aujourd'hui les JA et la FDSEA réclament des réponses rapides et concrètes.
« Nous sommes abasourdis par le poids des réglementations, une charge constante et journalière, de plus en plus pesante dans le quotidien des agriculteurs. C'est une contrainte dans notre travail et dans le développement de nos exploitations, » poursuit Christophe Buchet. « Nous sommes complètement assommés par des décisions prises à Paris qui pour nous n'ont aucun sens car chaque région a ses spécificités. Il faut redonner du poids à l'échelon local ».
« L'école ne nous prépare pas à tout cela »
« Et c'est encore pire chez les jeunes agriculteurs, » enchéri Michael Weber, le président des JA du Jura. « L'école ne nous prépare pas à tout cela. Heureusement dans un sens, car sinon personne ne s'installerait ».
Parmi les nombreux sujets devant être simplifiés, les présidents des syndicats départementaux ont cité les haies et les fossés. Des sujets sur lesquels plusieurs réglementations se croisent : PAC, droit rural, droit de la propriété, etc.
« Quatorze réglementations différentes régissent les haies. Personne n'est capable de nous dire avec précision quelle est la définition d'une haie. La PAC stipule qu’il est interdit de les tailler à partir de la mi-mars, mais à partir de mi-février, nous n’avons plus le droit de brûler les branches. Sans parler des espèces protégées, comme la pie-grièche. C'est aux agriculteurs de prouver qu'il n'y a pas de pies-grièches dans un rayon de 500 mètres lorsqu'ils taillent une haie. C'est totalement impossible ! »
Les exemples sont nombreux. Michaël weber cite celui d'un jeune jurassien, installé depuis un an, qui a eu un contrôle PAC : « Son prédécesseur avait arraché une dizaine d’années auparavant une clôture prise dans les ronces. Sur les images satellites, cette clôture était considérée comme une haie. Le jeune qui n’y est pour rien a vu son avance PAC amputée d’une retenue ».
Obligé de demander une aide qui n’existait pas
Jean-Marc et Charlène Jeandot, qui accueillaient la réunion sur leur exploitation en polyculture élevage, ne manquent pas d’exemples pour illustrer ces incohérences. L’exploitation étant située sur l’aire de captage d’eau potable de la ville de Lons-le-Saunier, Jean-Marc a suivi plusieurs formations en agronomie. Ils ont augmenté la diversité des cultures pour favoriser la biodiversité et se sont inscrits dans le réseau Ecophyto pour réduire leur utilisation de produits phytosanitaires.
A son installation en 2008, il a pratiqué l’agroforesterie sur certaines de ses parcelles. « Nous étions parmi les seuls jurassiens à le faire. Notre dossier PAC a été bloqué car nous n’avions pas demandé l’aide pour l’agroforesterie. Mais cette aide n’existait pas dans le Jura. La chambre d’Agriculture a dû intervenir pour que le dossier soit débloqué. Nous vivons vraiment dans 2 mondes différents ! ».
Les agriculteurs citent un autre exemple d'incohérence : pour faire du soja durable, ils doivent remplir un papier disant qu'ils ne cultivent pas sur des parcelles déboisées récemment. « Mais on importe du soja brésilien issu de la déforestation ! ».
Jean-Marc Jeandot pointe aussi la confusion entre cours d’eau et fossés : « Lorsqu’un arbre mort tombe dedans, nous n’avons pas le droit de le retirer pour favoriser la biodiversité. Résultat, ça déborde dès qu’il pleut et les champs sont inondés ».
Les cours d’eau et les fossés ne dépendent pas du même droit. La définition d'un cours d'eau est la même dans le Jura et le Doubs mais l'interprétation qu'en fait la DDT est différente dans chaque département. Certains cours d'eau jurassiens sont classés en fossé quand il change de département. Pour illustrer cet exemple, Christophe Buchet a montré une carte des cours d'eau du Jura et du Doubs. « Dans le Jura, les cours d'eau sont beaucoup plus nombreux alors que la topologie entre les deux départements est exactement la même. Nous voulons que l'interprétation de la loi soit la même dans le Jura le Doubs ou en Saône-et-Loire ».
À cette longue liste s'ajoutent chaque année de nouvelles contraintes. Pour souscrire une assurance récolte, les agriculteurs doivent fournir des papiers en plus, certifiés par leur comptable, avec les rendements historiques des dernières années, alors qu’ils les déclarent déjà chaque année à leur assureur.
Dénonciations anonymes
Les contrôles sont souvent déclenchés par des dénonciations anonymes. Une situation qu’a récemment connue Michaël Weber. « Au printemps, nous avons eu une dérogation pour pouvoir entretenir les bords de près jusqu'au 15 avril. Alors que nous travaillons, un cycliste nous a filmés, hystérique, il voulait aller voir l’OFB alors que nous étions dans notre bon droit. Nous arrivons à des absurdités ! »
« Les agriculteurs ont leur exploitation à ciel ouvert, les voisins, sans connaître notre métier, appellent les services de l'État au moindre doute, ce qui débouche sur de nombreux contrôles. Ces contrôles n'ont aucune entrée pédagogique, ils sont seulement répressifs ». Quand on voit une voiture garée au bord d'un champ, on devient suspicieux, même si les gens ne font rien de mal » avoue Christophe Buchet. « Les personnes qui nous dénoncent pour rien doivent être traduites en justice ». Sur le sujet les choses bougent légèrement puisque récemment un militant de l'association l 214 a été condamné à 6 mois de sursis.
« Lors des contrôles, l’attitude des agents de l’OFB est souvent militante alors qu’ils devraient être neutres et objectifs, » poursuit Christophe Bucher. « Certaines procédures finissent au tribunal. Heureusement tous ne sont pas comme ça. Ils sont de surcroît armés lorsqu’ils viennent sur nos exploitations, comme si nous étions des bandits. Nous réclamons leur désarmement mais eux ne le souhaitent pas ».
FDSEA et JA doivent prochainement rencontrer la direction de l’OFB du Jura qui vient de changer. « Après les manifestations du début d'année, des groupes de travail avec les services de l'État ont été mis en place sur les haies, les cours d'eau, Natura 2000 et les prairies sensibles. Dans le Jura, nous travaillons en confiance avec nos interlocuteurs. Mais il faut que ça se traduise sur le terrain, il y a encore des marges de progrès possibles. Nous avons des propositions, écoutez-nous ! ».
S.C.