Défendre le goût d’entreprendre en agriculture

Après deux reports, le premier syndicat agricole de France s’était donné rendez-vous dans les Deux-Sèvres pour la tenue de son 75ème congrès. 

Défendre le goût d’entreprendre en agriculture
Christophe Buchet (Président FDSEA 39), Isabelle Bailly (Vice-Présidente FDSEA 39) et Jean-Marie Hervé (secrétaire général FDSEA 39)

Parmi les faits marquants, la présidente de la FNSEA a interpellé le ministre de l’Agriculture sur l’échec de la répartition de la valeur ou encore la gestion des risques climatiques. La FNSEA a également développé son manifeste en faveur d’une ruralité vivante en vue des élections présidentielles. Mais avant cela, c’est le projet interne FNSEA 2025 qui a mobilisé les congressistes avec l’objectif de poursuivre son évolution vers un syndicalisme économique offensif et créateur de valeur ajoutée tout en s’appuyant sur ses valeurs fondatrices. La délégation jurassienne tire un premier bilan de ce congrès et des suites à donner dans le Jura.

Questions croisées à Jean-Marie Hervé (secrétaire général FDSEA 39), Isabelle Bailly (Vice-Présidente FDSEA 39) et Christophe Buchet (Président FDSEA 39).

Quelles sont vos premières réactions après ce congrès ?

JM.HERVE : Après deux reports à cause du covid, nous sommes contents d’avoir pu nous retrouver dans une ambiance plutôt positive. Nous avions envie de réaffirmer les valeurs de notre syndicat à savoir la solidarité, l’humanité, l’initiative, la responsabilité et l’ancrage territorial. A la FNSEA, nous sommes droits dans nos bottes en étant fiers de ce qu’on est, de ce qu’on peut apporter à la société et surtout aux agriculteurs.

I.BAILLY : Réaffirmer la force du réseau c’était bien quand on voit tout ce qui a été fait durant l’année pour défendre les agriculteurs même si l’on communique mal sur nos acquis. Concernant le projet FNSEA 2025, il a été acté et mis en avant qu’il fallait qu’on accueille et accompagne tous les porteurs de projets diversifiés à condition qu’ils soient économiquement viables. Nous devons continuer de diversifier nos adhérents en leur tendant la main pour garder cette vision globale de l’agriculture qui fait de la FNSEA un interlocuteur incontournable.

C.BUCHET : Je retiens que par rapport à d’autres congrès celui-ci était beaucoup plus ambitieux avec une approche beaucoup plus positive. Bien sûr dans chaque intervention des régions chacun portait ses problématiques comme la PAC mais nous sommes rapidement passé à des réflexions prospectives. J’ai senti une volonté du réseau de se projeter sur le syndicalisme de demain et notamment le syndicalisme économique avec une approche plus constructive dans l’anticipation plutôt que dans la réaction face des évènements subis. Par exemple sur les ZNT, comment aurions-nous pu anticiper cette crainte de pollution des riverains en proposant au préalable d’autres solutions alternatives valorisant des pratiques plutôt que des interdictions.

En quoi consiste le projet FNSEA 2025 pour le Jura ?

JM.HERVE : Notre premier objectif sera la reconquête des adhérents. Concrètement pour le Jura, il faut se reposer des questions sur ce qu’attendent véritablement les agriculteurs de leur syndicat puis le faire. Nous allons dans les mois à venir retravailler sur un projet syndical sans avoir peur de tout ce qu’on entend. A la FDSEA nous respectons tout le monde quel que soit son type de production. C’est juste adhérer à certaines valeurs et ne pas adhérer à certains principes idéologiques comme la décroissance. C’est différent de ce qu’on voit chez nos concurrents qui cherchent à diviser les paysans. Pour nous, ce n’est pas une histoire de production, de petite ferme, de grande ferme, de bio ou pas bio. Nous sommes ouverts et tout le monde peut venir avec nous défendre le métier d’agriculteur. Enfin, dans ce projet FNSEA il y a aussi la notion d’entreprise, avec tout ce que cela peut comporter de nouveautés, qui complète notre fonction nourricière que ce soit sur la production d’énergie, la vente directe, la production de services environnementaux ou de services aux consommateurs, etc.

C.BUCHET : Tout l’enjeu pour notre département sera de garder cette posture de défense des agriculteurs en réaction mais également d’aller plus loin sur cette notion de syndicalisme économique en saisissant les opportunités qui s’offrent à l’agriculture. Pour moi, toutes les démarches méritent d’être creusées à l’image de la FDSEA de Haute-Saône qui a initié et porté la création de magasins de producteurs. Ce type de projets permet de mobiliser aussi des agriculteurs qui n’étaient pas forcément dans notre réseau et de capter de la valeur ajoutée pour les producteurs en répondant à une demande des consommateurs. Sur une autre thématique, notre réseau syndical a créé au niveau national une association pour chercher à valoriser le carbone que chacune de nos exploitations stockent. Que ce soit sur le carbone ou sur les services environnementaux, ce sont des pistes qui méritent d’être creusées. Sachons nous appuyer sur l’expérience de nos collègues. C’est aussi ça le congrès, de pouvoir échanger sur ce que font les autres.

D’après vous, la FNSEA doit-elle changer son image ? Faut-il faire évoluer le nom de la FNSEA en remplaçant le mot exploitant par entrepreneur comme cela a été évoqué lors des débats ?

I.BAILLY : Le PDG de Total, dont l’entreprise a été renommée Total Energies il y a peu de temps, nous a fait part de la stratégie de cette multinationale pour changer leur image en investissant 25% de leurs bénéfices dans les énergies renouvelables, avec d’ailleurs les difficultés pour eux de cohabiter avec l’activité agricole. Je retiens que de situations contraintes comme dans leur cas la fin du tout pétrole, il faut savoir saisir les opportunités de rebondir et d’aller de l’avant. La FNSEA se remet elle aussi en question à travers ce projet FNSEA 2025 sur l’image qu’elle renvoie aux jeunes. Concernant le logo et le terme FNSEA, je ne vais pas dire que j’y suis attaché mais c’est quand même quelque-chose qui nous représente et qui est ancré. Que l’on puisse changer le terme exploitant agricole par entrepreneur agricole comme certains le propose, cela ne me choquerait pas bien que nous soyons habitués à l’écrire sur les formulaires administratifs. Peut-être que se définir comme un entrepreneur à la tête d’une entreprise c’est une vitrine plus dynamique et mieux perçue sur le terrain. Mais par rapport à l’historique, quand tu dis FNSEA, même au-delà des frontières, je pense que l‘on sait qui elle est.

C.BUCHET : Je pense que l’on est déjà un syndicat ouvert à tous les agriculteurs puisque la FNSEA est le 1er syndicat de France en nombre d’agriculteurs bio par exemple. C’est simplement une histoire de communication et à ce que certains voudraient faire croire. Il me semble qu’en commission SSEE à la DDT, quand les représentants de la FDSEA siègent, ils ne votent pas uniquement pour soutenir les projets des futurs adhérents chez nous. Nous défendons au quotidien l’ensemble des installations qui ont un projet viable. Notre problème, c’est d’avoir une meilleure communication sur le sujet. Je pense qu’il nous faut mettre en avant la diversité de l’agriculture française, qu’elle soit en bio ou en conventionnelle, qu’elle soit en AOP ou pas, qu’elle soit en circuit court ou en circuit long. A nous de faire en sorte de ne pas opposer ces agricultures et qu’elles soient complémentaires sur le territoire. C’est la démarche portée la FDSEA du Jura.

JM.HERVE : En écoutant les débats sur l’identité de la FNSEA, je me suis dit que quelque part les termes d’entrepreneur et d’entreprise, cela pourra quand même nous aider à nous ouvrir aux jeunes et assurer le renouvellement des générations, à sortir du carcan agricole et leur proposer des projets plus diversifiés, essayer de capter du revenu, de la valeur ajoutée, en résumé saisir les opportunités économiques qui s’offrent à nous. Dans l’imaginaire collectif, exploitant cela peut vouloir dire que l’on exploite nos terres et nos animaux en tirant un peu sur tout ce que l’on peut, alors que la notion d’entreprise c’est un petit peu différent, cela veut dire que tu cherches un peu plus à t’adapter à ton environnement, à créer de la valeur, à créer des projets viables, être un acteur pour l’emploi et pour la ruralité. Tu n’es pas qu’un exploitant agricole sur un territoire précis qu’est ton exploitation, tu es un entrepreneur avec une vocation plus large, plus économique et sociale. Il me semble donc assez judicieux pour la FNSEA d’affirmer sa volonté de s’engager avec les hommes et les femmes qui ont le goût d’entreprendre en agriculture pour des territoires vivants et dynamiques.

Que retenez-vous de l’intervention du ministre de l’Agriculture ?

I.BAILLY : Le ministre a pris le temps de répondre aux différentes questions pointées par Christiane Lambert en mettant en avant tous les chantiers qu’il a menés depuis qu’il était là. Il a aussi promis que dans le peu de temps qu’il restait avant la présidentielle, il allait continuer de faire avancer la réforme de l’assurance récolte et les varennes de l’eau. A titre d’exemple, en réponse au blocage d’un chantier de bassine retenant l’eau à deux pas du congrès, nous avons besoin d’une volonté politique forte pour mener à bien des projets comme celui-ci concertés et acceptés localement, y compris par les associations environnementales, pour s’adapter aux évolutions climatiques et maintenir une production agricole essentielle à la souveraineté alimentaire de notre pays.

JM.HERVE : Le ministre était attendu concernant la loi égalim 2. Il a reconnu les imperfections de la première mouture qui ne permet pas aujourd’hui d’assurer la construction des prix en marche avant avec l’intégration automatique des coûts de production. Avec la hausse générale des charges sur nos exploitations, il y a urgence pour le gouvernement d’agir sans attendre les élections.

C.BUCHET : Le ministre nous a annoncé des avancées sur la loi Besson-Moreau des égalim 2. Elle est en cours de discussions au parlement. C’est plutôt rassurant mais tant qu’il n’y a pas des actions concrètes avec un retour sur les exploitations, nous sommes toujours un petit peu sceptiques. Certes, on sent un ministre qui est volontaire avec des convictions et une vision plutôt partagée avec nous de ce qu’est l’agriculture française, et de ce qu’il veut qu’elle soit, sauf qu’il y a toujours des choix d’ordres politiques et l’agriculture n’est pas toujours une priorité. Mais l’on sent plutôt un ministre à notre écoute et qui a envie d’avancer avec nous.

Un mot pour conclure ?

I.BAILLY : Au retour du congrès on est rechargé mais on sait qu’il y a du pain sur la planche pour bâtir notre reconquête syndicale. Il nous faut aussi savoir reconnaître ce que l’on fait de bien et le mettre en avant.

JM.HERVE : Nous nous sommes réaffirmés comme le grand syndicat rassembleur et c’est une bonne chose, cela va permettre de marginaliser nos opposants car nous avons la volonté de n’exclure personne.

C.BUCHET : La FNSEA a 75 ans mais est loin d’être à la retraite. Le syndicalisme va poursuivre sa mutation y compris dans notre département pour coller aux aspirations des agriculteurs, et en lien avec les JA, défendre une agriculture dynamique, innovante et entreprenante, résolument tournée vers l’avenir plutôt que regardant dans le rétroviseur.

PEB