Grand prédateur / Dans un article publié le 15 janvier, le réseau Loup-lynx « note une nette augmentation des indices de présence collectés » du loup en 2020 dans la région Bourgogne-Franche-Comté. Chasseurs et agriculteurs du Jura les rejoignent sur ce constat.
Récupérer des traces de présence d’un loup n’est pas évident : les seules preuves tangibles sont les photos et les analyses génétiques à partir de poils ou d’excréments. « Nous trouvons de plus en plus d’informations sur la présence de loups dans le Jura. L’OFB, l’ONF et les chasseurs posent des pièges photos pour surveiller les grands prédateurs, » explique Mickaël Marillier, technicien de la Fédération de chasse du Jura et correspondant local du réseau Loup-lynx. « Plusieurs loups ont ainsi été pris en photo dans le Jura. Ils ont filmé jusqu’à cinq individus ensemble, formant une meute. Au mois de novembre à Prémanon, un chasseur en pleine battue a même réussi à en filmer un avec son téléphone portable. »
Avec la neige, Mickaël Marillier, accompagné d’autres chasseurs, de salariés de l’ONF et de membres d’association de protection de la nature, a participé cet hiver à deux séances de suivi de l’animal initiées par l’OFB. Ils ont profité de la neige pour chercher des traces et les suivre en espérant trouver du matériel génétique. S’ils sont rentrés bredouilles dans le Jura, des preuves de la présence du prédateur ont été découvertes dans le Haut-Doubs et dans l’Ain.
« Nous avons la chance d’avoir des chasseurs sur toutes les communes du département, » poursuit-il « Nous sommes des sentinelles, aux avants postes de la surveillance. Mais sans ces preuves nous n’avons que des indices et il est parfois difficile de faire la différence entre un loup et un grand chien. » Les chasseurs, qui ne peuvent faire des constats uniquement sur la faune sauvage, pensent que plusieurs cerfs ont subi une prédation dans le Haut-Jura : « Les attaques des loups se caractérisent par leur violence. La carcasse présente de nombreuses morsures au cou, sa cage thoracique est ouverte, les viscères consommés... »
Une situation nouvelle pour les éleveurs
Le réseau Loup-lynx a défini le col de Marchairuz, à cheval sur le Jura, le Doubs et la Suisse, comme ZPP (zone de présence permanente). Une meute s’y est établie. « Cinq individus formaient cette meute au début mais quatre louveteaux sont nés au printemps, » raconte Guy Scalabrino, éleveur dans le secteur et membre de la commission faune sauvage de la FNSEA. « Nous suspectons aussi l’établissement d’une seconde meute sur le Mont d’Or. Des veaux ont été attaqués et un loup a été pris en photo avec un cuisseau dans la gueule. A coté, à Chaux-Neuve, deux moutons ont été retrouvés morts. Vingt-Cinq kilos de viandes avaient été prélevés, ce qui est trop pour un seul animal. »
Constats et indemnisations : démarches à suivre dans le Jura.
Vous avez subi une attaque de prédateur : dès la découverte des dommages, ne pas déplacer les animaux morts ni aucun indice susceptible de faciliter le constat. Recouvrir la ou les dépouilles d’un sac ou d’une bâche pour les protéger des consommations secondaires (charognards). Regrouper les bêtes blessées qui peuvent être déplacées. Contacter le numéro d’appel de l’OFB au 03.84.89.81.79 pour déclarer votre sinistre. À l’issue de cette déclaration, un constat d’attaque sera réalisé par un agent habilité. Ce relevé d’informations est réalisé par un agent de l’OFB qui vient constater les éléments disponibles (morsures, consommation…). La décision d’indemniser une attaque relève ensuite de l’instruction technique et administrative du constat de dommage par les services de l’État. Le constat est donc transmis à la DDT qui procède à l’instruction du dossier et déclenche l’indemnisation.
Cette proximité entre deux groupes est fréquente dans les Hautes-Alpes ou le loup s’est établi en nombre. Le territoire d’une meute fait entre 100 et 200 Km² , le déplacement des animaux est donc limité à une dizaine de Km. A l’opposé, un individu isolé peut parcourir jusqu’à 80 Km par nuit. « Récemment, un loup qui remontait de la vallée du Rhône jusqu’au Vosges a fait 80 victimes en Haute-Saône dont des veaux dans une étable, » poursuit l’agriculteur, « comme s’il ne craignait pas la présence humaine. C’est un comportement anormal. Ces attaques sont quelques choses de nouveau pour les éleveurs de la région. Ils ne savent pas encore comment réagir. »
Si un troupeau est victime de cinq attaques en deux ans, l’éleveur est obligé de mettre en place une protection. Il peut rentrer ses animaux le soir, installer une clôture électrique ou prendre des chiens patous de défense des troupeaux. Des solutions mal adaptées pour les élevages jurassiens : les lieux de pâturage étant dispersés, il est compliqué de regrouper les animaux tous les soirs ou de mettre des clôtures électriques. Guy Scalabrino n’est pas convaincu non plus par les patous : « Il y a eu beaucoup d’accidents car il défendent le troupeau contre tous intrus, y compris les randonneurs. Et comme les éleveurs sont responsables de leurs chiens, ils peuvent se retrouver devant les tribunaux alors que la loi les oblige à défendre ainsi leur troupeau ! Très peu prennent le risque d’avoir un patou ». Sur le sujet, la FNSEA demande que la responsabilité du chien passe à l’État.
L’an passé, le loup a officiellement fait 12 000 victimes dans le cheptel français. A ce chiffre s’ajoutent les moutons qui s’enfuient et se perdent, ceux qui chutent d’une falaise dans la panique, celles qui avortent. Le manque à gagner est important pour l’éleveur qui n’a plus qu’à prévenir l’OFB pour faire les constatations. Sans parler du traumatisme de voir ses bêtes souffrir et de devoir les euthanasier.
« Il ne faut pas que la situation du Jura devienne comme dans les Alpes du Sud. Les éleveurs y sont en grande détresse sociale et économique. Certains ont perdu le tiers de leur troupeau. » Contre le loup, le syndicat agricole souhaite l’autorisation d’effectuer des tirs de défense, d’abord pour l’effrayer puis pour l’abattre si l’animal ne fuit pas.
La Fédération de chasse du Jura se prépare au cas où les dispositions du plan loup qui autorise les tirs de défense, décidées par le ministère, entrent en vigueur. Son président Christian Lagalice « partage à 200 % les inquiétudes du monde agricole. » Il reconnaît que les dégâts sont de plus en plus fréquents et importants et les risques courus par le bétail jurassien : « Traditionnellement, les vaches montbéliardes du Jura mettent bas dans les estives. Les veaux sont des proies faciles pour les loups. Ils n’hésitent plus à s’approcher des zones habitées. Sur l’île du Girard à Gevry, il a préféré s’attaquer à des moutons alors que c’est le secteur du département avec le plus de faune sauvage. »
Selon lui, la population de loups est largement sous-estimée. « Il faut au moins doubler ces chiffres officiels, » estime-t-il. « On pourra ainsi définir une politique à partir de réalités ». Cette population officielle est établie à 580 individus sur l’ensemble du territoire national. Grâce à l’abondance de proies sauvages et domestiques, elle continue à augmenter malgré les tirs autorisés dans certains départements.
SC
1817 : un loup attaque l’homme à Rahon
Le président de la fédération de chasse du Jura, Christian Lagalice, est historien de formation. « Les enfants dévorés par les loups ne sont pas qu’une légende. L’animal à laisser des traces dans la mentalité rurale, les attaques sur l’homme était plus fréquentes qu’on ne le croit aujourd’hui. La possibilité de rencontrer un animal sauvage était plus élevée car les habitats étaient souvent isolés » Deux ouvrages font référence en la matière.
Dans « Le pain de mếlée », Colette Merlin, docteur à l’université de Franche-Comté, fait référence à des attaques de loups sur le secteur de la Petite Montagne au XVIIIe siècle, dont certaines sur des enfants.
Dans « Histoire du méchant loup », Jean-Marc Moriceau, professeur d’histoire à l’université de Caen et président de l’association d’histoire rurale, recense plus de 3000 attaques de loups sur l’homme, en France, entre le XVe et le XXe siècle. Plusieurs se sont déroulées dans le Jura. La dernière a eu lieu en 1817 à Rahon.