Viticulture
La génomique, aussi pour la vigne !

Les possibilités offertes en élevage bovin par les techniques de génomiques sont également accessibles à la recherche végétale. C’est ce qu’on a pu découvrir à Charcenne, le 26 avril dernier, lors de la journée technique organisée par les pépinières Guillaume. Un bonne occasion aussi pour les viticulteurs de découvrir les étapes de production d’un plant de vigne dans ce qui est aujourd’hui un fleuron de la production de plants viticoles.

La génomique, aussi pour la vigne !
À l’issue des présentations, les participants ont pu goûter des micro-vinifications de clones et de sélections massales réalisées par le Vignoble Guillaume.

Près d’une centaine de participants, pour la plupart des viticulteurs, clients des pépinières Guillaume, se sont retrouvés à Charcenne le 26 avril pour une journée technique en mode « portes ouvertes ». Un rendez-vous où étaient abordés des aspects précis de sélection et de conduite des vignes, une occasion de découvrir les ateliers de production de l’entreprise charcennaise, et une possibilité aussi, pour les clients, de faire remonter leurs préoccupations sur « les défis de la viticulture de demain ».

Les leviers pour faire face au aléas climatiques

Les présentations ont commencé dans le concret, avec l’intervention de Laurent Anginot, conseiller viticole de l’Association Technique Viticole de Bourgogne (ATVB). Le technicien est venu présenter les leviers disponibles pour faire face aux aléas climatiques. « Trois leviers principaux : le choix du porte-greffe, celui du greffon, et les conduites culturales », résume-t-il. Pour les deux premiers, qui intéressent plus particulièrement les pépiniéristes, la recherche est permanentes et la diversité génétique permet d’étaler les risques : diversité du port, du système racinaire, tolérance à la sécheresse (souvent associée à la vigueur), date de démarrage, productivité, régularité… Le catalogue des possibles est très varié.

Attention toutefois, précise le spécialiste, à ne pas tout attendre de la génétique : « En Côte d’Or en 2023, par exemple, on a observé 2 ou 3 jours de différence sur les dates de débourrement… mais on a surtout mesuré que la date de taille a plus d’influence sur le démarrage que le choix du porte-greffe. » Même constat sur le système racinaire : « On a beau choisir un potentiel génétique de porte greffe- favorisant un système racinaire plongeant, si le travail du sol est mal fait, on n’aura pas les résultats attendus. »

Même modestie sur les gains attendus : « Avec le changement climatique, remarque un invité, c’est parfois du sec, mais parfois beaucoup d’eau ! » De fait, le choix d’un type variétal ou d’un porte greffe doit permettre « de gagner une année sur 10 quand les conditions sont difficiles », sans perdre en production les autres années...

Les nouveaux outils pour la sélection variétale

De son côté Loïc Le Cunff, généticien à l’IFV (Institut Français de la Vigne et du Vin), a présenté un vaste aperçu des potentiels permis par les nouveaux outils de génétique, dans la création de nouvelles variétés et de nouveaux porte-greffes. Premier objectif : accélérer la création variétale. Avec les techniques anciennes, la mise sur le marché d’une création variétale peut durer 20 ans. Entre la sélection, la culture, la validation du potentiel, la certification, le processus est très long. « Aujourd’hui, la demande de la société est rapide, les attentes sont importantes sur notre réactivité. » Or de nouveaux outils sont à disposition des chercheurs, en premier lieu les techniques CRISPR-Cas (voir encart Anses).

Cette méthode dite aussi des « ciseaux moléculaires » permet de découper l’ADN à un endroit particulier, de le laisser se reconstituer, et de compter sur les « erreurs » de réparation (qui arrivent naturellement dans la nature) pour bénéficier d’un individu porteur d’une mutation. C’est un coup de pouce donné à l’immémorial système de la variation génétique. Largement utilisé dans le monde (plus de 4000 publications par an dans la littérature scientifique), cette technique était encore considérée dans l’Union Européenne comme produisant des OGM au sens de la réglementation de 2001, jusqu’à ce que des discussions s’ouvrent à Bruxelles en juillet 2023, pour amener à un compromis qui pourrait voir le jour cette année, considérant que ces mutation auraient pu arriver naturellement (un peu comme pour les techniques de radio-mutagénèse utilisées massivement en création variétales dans les années 70 à 90).

Une fois obtenues des variétés nouvelles, la génomique (comme en sélection bovine) permet de faire le lien entre un critère phénologique observé sur un plant de vigne, et une séquence ADN précise. D’où une accélération très importante du processus de sélection. « Le coût du séquençage s’est effondré dans ces 20 dernières années », explique Loïc Le Cunff.

Travail de prospection pour la sélection massale

Forts de ces avancées, les chercheurs ont donc commencé à sélectionner des variétés nouvelles et, comme ils le font depuis des années, à travailler sur les caractères de résistance à la sécheresse, et aux maladies. Sur ce plan, pas de grand changement : On ne connaît à ce jour dans le monde que 3 résistances à l’oïdium, 4 au mildiou ! D’où l’importance de les préserver, notamment en respectant les recommandations de traitement pour ne pas accélérer la sélection des contournements chez les pathogènes…

Du côté des pépinières Guillaume, les travaux de recherche continuent également : « Nous sélectionnons nos propres souches de mycorhize et de trichoderma » explique ainsi Vincent Delbos, directeur général. « Depuis 40 ans, nous prospectons aussi dans les vieilles vignes, y compris en Argentine et au Chili, pour nos sélections massales. » Un processus également très long, puisqu’après la prospection, il faut s’assurer de la pureté sanitaire, cultiver, observer, et finalement vinifier. Les invités ont d’ailleurs pu déguster en fin de matinée les micro-vinifications de clones et de sélections massales réalisées par le Vignoble Guillaume.

Louis de Dinechin

Des OGM aux plantes issues de NTG, quelles évolutions ? Le point de vue de l’Anses

La technique historiquement utilisée pour créer des OGM est la transgénèse. Elle consiste à ajouter un ou plusieurs gènes d’une espèce dans le génome d’un autre organisme, dans le but d’acquérir de nouvelles caractéristiques. Contrairement à la transgénèse, certaines NTG (nouvelles techniques génomiques) comme la mutagénèse dirigée ne nécessitent pas l’ajout de gènes issus d’espèces avec lesquelles aucun croisement n’aurait été possible dans la nature. Les organismes issus de ces NTG ont donc subi une modification génétique sans introduction de gène extérieur dans leur génome, tout en leur conférant de nouvelles caractéristiques.

Des variétés végétales issues de ces techniques sont d'ores et déjà commercialisées dans de nombreux pays, hors Union européenne, et la diversité des variétés NTG pourrait s’accroître, en raison notamment d’une plus grande facilité d’utilisation et du faible coût des techniques CRISPR-Cas.

Le 5 juillet 2023, la Commission européenne a proposé un règlement visant à exclure certaines plantes NTG de la législation européenne sur les OGM (directive 2001/18/CE). Elles seraient considérées, sur base de certains critères, comme équivalentes à des plantes obtenues par des techniques conventionnelles. L’Anses a analysé ces critères avec l’appui de son collectif d’experts dédié aux biotechnologies. On peut se référer à son analyse publiée le 21 décembre 2023, ou celle concernant les plantes NTG publiée le mois dernier.

 

Transmission : entre deux générations

L’histoire des pépinières Guillaume remonte à la grande épidémie de Phylloxéra, qui détruisit une grande partie du vignoble français à partir de la fin des années 1860. Le vignoble haut-saônois en fit aussi les frais, avant que le botaniste Jules-Emile Planchon ne revienne d’Amérique avec l’idée d’introduire des plants de vigne naturellement résistants à l’insecte et d’y greffer les variétés françaises.

En 1895, les Guillaume commencent donc à commercialiser de la vigne greffée. Depuis presque 130 ans, l’entreprise a mobilisé quatre générations de vignerons. Lors de cette journée technique, les derniers venus étaient aux commandes, avec les deux cousins, François Guillaume (président) et Vincent Delbos (directeur général). Tous deux ingénieurs agronomes, ils ont fait leurs armes sous d’autres cieux avant de reprendre le service dans l’entreprise familiale. « C’est toujours un équilibre à trouver dans un société familiale, illustre ainsi François Guillaume : garder nos racines, notre philosophie, l’expérience de nos aînés, et continuer à avancer et à innover. » Un exercice passionnant, que l’agronome a pu pratiquer dans ses expatriations au Chili, en Italie, et en Californie, d’où il appelait régulièrement son oncle Christophe, pour profiter de ses conseils et partager des retours d’expérience.

Aujourd’hui, les pépinières Guillaume expédient leurs plants un peu partout en Europe et ailleurs, comme le dit Thomas Pointurier, directeur commercial : « Nos limites sont au Sud à Naples, au Nord à Londres, à l’Ouest à San Francisco, à l’Est en Crimée ! »