Filière lait bio
« Eviter la destruction du potentiel de production »
Face à une conjoncture qui voit la consommation de produits laitiers bio diminuer, notamment en GMS (grandes et moyennes surfaces) quelles sont les marges de manœuvre des acteurs de la filière ?
La Bioloweek est une semaine de promotion et de soutien à l’agriculture biologique portée par le réseau des chambres d’Agriculture de la région du 6 au 10 novembre. Un soutien bienvenu car, depuis le début de la guerre en Ukraine et l’inflation, la dynamique de l’agriculture bio est perturbée et les ventes ralentissent fortement. « Cette opération souligne notre volonté de continuer à accompagner, peut-être encore plus qu'avant, les agriculteurs bio pour éviter les déconversions, » a expliqué Christophe Buchet en tant que vice-président de la chambre d’Agriculture du Jura. « Ceux qui souhaitent se convertir doivent être conscients des difficultés actuelles. »
Outre les portes ouvertes et les rencontres avec des techniciens sur des exploitations, la chambre organisait mercredi 8 novembre un temps de réflexion sur l’avenir de la filière laitière bio dans le département. « Le nombre de livreurs de lait bio en France a diminué de 3% en un an, entrainant une baisse de la collecte malgré un léger rebond au mois d’août, » a rappelé Pierre Fouquet, directeur du CIL BFC Est. En Bourgogne Franche-Comté, l’évolution est à peine meilleure : le lait bio représentait 8% de la collecte en 2023, contre 10% en 2017.
La consommation a aussi fortement diminué : - 16% en 2022 et - 12% sur les 8 premiers mois de 2023. Elle est revenue à un niveau équivalent à celui de 2017-2018. Une chute particulièrement prononcée sur les crèmes et fromages bio alors qu’en parallèle, les ventes de fromages conventionnels augmentent. Lueur d’espoir dans ce contexte morose, la baisse des ventes commence à ralentir. Dans les magasins bio spécialisés, elles repartent même légèrement à la hausse. « A ce rythme, si les déconversions et les cessations continuent, nous risquons de manquer de lait bio dès 2026, » alerte le président régional de l’interprofession. « Il faut éviter la destruction du potentiel de production pour pouvoir répondre à une probable reprise lorsque la crise économique sera terminée ».
Coté prix d’achat, celui du lait bio a continué à augmenter mais moins vite que celui du lait conventionnel. Porté par les AOP, il reste néanmoins supérieur à la moyenne nationale. Mais entre l’augmentation des charges et une revalorisation insuffisante pour maintenir les marges, le manque à gagner pour les éleveurs est estimé à 13 600 € pour 300 000 litres.
Du bio déclassé en conventionnel
Un constat partagé par Jean-Baptiste Viret, président de l’union des fruitières bio comtoises : « Depuis 5 ans, nous sommes passés de 4 à 8 millions de litres de lait récoltés, principalement poussé par la hausse de la demande lors du COVID. Mais aujourd'hui nous changeons de politique et nous demandons à être prévenus en amont des conversions car 2022 a été très difficile, nous avons dû valoriser 10% de notre lait bio en lait conventionnel. Si cela continue, l'UFBC aura du mal à maintenir le même écart de prix entre le bio et le conventionnel car nous ne pourrons plus compenser la non-valorisation. A la coop ou je livre mon lait, la différence était montée jusqu’à 120 € pour 1000l. Elle est redescendue à 79€. Mais heureusement, nous commençons à sentir un léger redémarrage. ».
Pour Monts et Terroirs, le bio ne représente que 1% des ventes de Comté. « C'est très peu, nous restons donc sur une augmentation même si les ventes sont compliquées car les AOP sont chères », a expliqué la présidente-directrice Marianne Warnery. « Mais sur le gruyère et l'emmental bio, la baisse de production a été très forte, des éleveurs basculent sur le conventionnel. Pour ne pas pénaliser les producteurs de lait nous déclassons des fromages bio en conventionnel ».
Des déclassements qui, s’ils sont les bienvenus, ne seront pas tenables sur le long terme selon Thomas Paris, administrateur filière lait au Groupement des Agriculteurs Bio du Jura (GAB 39) : « Heureusement que les coops jouent le jeu et maintiennent leur prix car à la fin du mois, les éleveurs regardent leur paye. Mais elles ne pourront pas continuer indéfiniment, depuis 15 ans le prix du Comté a beaucoup augmenté, nous arrivons à un plafond. Il ne faut pas que cela devienne un produit de luxe ».
« Les éleveurs déjà installés sont résilients, » estime Christophe Buchet qui ressent aussi ce plafonnement des volumes et des prix dans la filière Comté bio. « Mais nous pensons aux jeunes qui ont investi et s'inquiètent pour leur avenir ».
La GMS pointée du doigt
Des inquiétudes partagées par Marianne Warnery : « Pour 2024, Monts et Terroirs commence à envisager des baisses de prix pour l’achat du lait car l’année risque d’être encore très compliquée. La GMS (grandes et moyennes surfaces), qui elle a fortement augmenté ses prix de vente pour conserver ses marges, commence à retirer certains de nos produits de ses rayons. Elle diminue aussi le grammage de ceux qu’elle conserve pour ne pas dépasser le plafond à partir duquel les consommateurs n’achètent plus. Nous vendions fréquemment des portions de 500 grammes, elles sont désormais réduites à 250 ou 300 g. Cela nous coûte plus cher car il y a plus d’emballage ».
Ce qui fait dire à Thomas Paris que le problème n’est pas que conjoncturel, mais aussi structurel : « Nous devons remonter nos propres filières de vente pour pouvoir nous abstenir de la GMS ».
Dernier intervenant de cette table ronde, le directeur de la DDT du Jura, Nicolas Fournier, a rappelé les aides que le gouvernement a mis en place pour soutenir les producteurs bio en difficulté. Des enveloppes d’urgence très peu sollicitées par les éleveurs laitiers du Jura puisque seules deux exploitations en ont fait la demande. Il a aussi annoncé une prochaine campagne de communication en faveur d’une alimentation de qualité et rappelé la mise en place des projets alimentaires territoriaux (PAT) qui imposent une part de bio et de local dans la restauration collective. Quant au partage de la valeur, « la loi Egalim est pensée pour convaincre la GMS de revenir à des marges plus raisonnables, » poursuit-il. « Mais nous ne pouvons que les obliger à négocier. L'Etat considère que le bio a une vraie place et un vrai rôle dans notre souveraineté alimentaire ».
Optimiste et réaliste
Pour conclure, tous se sont accordés pour dire que le principal problème est le prix final au consommateur qui a vu son pouvoir d’achat s’écrouler ces deux dernières années. Un propos légèrement nuancé par Thomas Paris : « En France, l'alimentation est une variable d'ajustement pour les consommateurs alors que les téléphones dernier modèle se vendent bien ».
« Je suis réaliste, car nous ne savons pas combien de temps cette crise va durer, mais je reste optimiste pour la filière bio », relativise Jean-Baptiste Viret. « Jusque-là tout était facile, notre plus gros souci était le manque de fromage. Nous avons la chance d'être dans une filière organisée où les gens se parlent et les prix du lait restent intéressants. Il faut reconnaître ce que l'on a ».
Un optimisme partagé par la présidente-directrice de Monts et Terroirs : « Il y a toujours des marges de progression à aller chercher même si l'argent est de plus en plus cher et les investissements plus difficiles. Je crois dans le modèle bio, c'est l'avenir, mais nous devons réfléchir autrement, travailler notre modèle et nos performances car d'autres choses vont nous tomber sur la tête. Nous devons aussi mieux mettre en valeur le cahier des charges des AOP et ce que vous faîtes sur vos exploitations, car nos fromages répondent aux attentes sociétales ».
S.C.
Le bio dans le Jura en chiffres
Historiquement le Jura a été précurseur dans l’agriculture bio. Ce mode de production y est aujourd’hui bien ancré. 27 382 hectares, soit 14,4 % de la SAU sont en bio. Cela représente 463 exploitations (20,1 % du total). Parmi elles, des micro-fermes en maraîchage ou en PAM mais aussi 30 % du vignoble. Coté bovin, 93 éleveurs avec 5131 vaches laitières pratiquent cette agriculture.
60 % des surfaces bio sont en herbe, suivis par les grandes cultures (19%).