Prédation
Le Préfet « loup » sur le terrain mais très prudent
A la demande du syndicat ovin de Franche-Comté et de la FDSEA et des JA, le Préfet « loup » Jean-Paul Célet a fait plusieurs déplacements dans le Jura le 10 octobre dernier, accompagné du préfet du Jura et des services de l’Etat pour écouter les éleveurs. Entre le Haut-Jura et la Petite Montagne, le préfet s’est voulu à l’écoute et pédagogue mais sans proposer de solutions qui changeraient rapidement la vie des éleveurs face à la prédation.
C’est Cyril Roussel, éleveur d’ovins à Rouhe dans le Doubs et président du Syndicat ovin Franc-Comtois qui avait la charge d’accueillir deux préfets sur la haute chaîne du massif du Jura à Prémanon en ce 10 octobre. Le lieu n’a pas été choisi par hasard puisqu’un incident a eu lieu à proximité cet été lorsqu’une vététiste s’est fait mordre par un chien qui protégeait un troupeau de moutons. Les échanges de la matinée en présence de diverses parties prenantes du territoire (services de l’Etat, PNR, éleveurs, syndicats agricoles, institut de l’élevage) étaient essentiellement consacrés aux difficultés de cohabitation entre les chiens de protection et les autres usagers de la nature avec des témoignages d’éleveurs sans équivoque. « J’ai 400 brebis dehors toute l’année en transhumance et je dors à côté de mes moutons. Avec le temps, j’ai augmenté le nombre de chiens et quand je fais le bilan de la saison, j’ai passé plus de temps à gérer les chiens que les moutons. Et malgré l’installation de panneaux de signalisation de la présence des chiens, les gens ne lisent pas et pratiquent une multitude d’activité de jour comme de nuit dans nos champs. Cet été j’ai eu droit à une plainte et dans tous les cas je suis fautif. » relate Xavier Broquet basé aux Rousses.
« On doit gérer un problème que l’on n’a pas créé »
Même son de cloche pour un éleveur voisin qui fait pâturer ses moutons de l’autre côté du col de la faucille, « en 14 jours on a compté 3600 personnes qui se baladaient à proximité de nos animaux. Les randonneurs n’ont pas le bon comportement avec les chiens et les animaux. On doit gérer seul un problème que l’on n’a pas créé. » La problématique va même au-delà de l’unique cohabitation entre les chiens et les promeneurs. « Les gens pensent que la nature appartient à tout le monde. » témoigne un éleveur de chèvre de Prémanon. Pour Jean-Baptiste Alpy, vice-président de la chambre d’agriculture en charge de l’ARDAR, « le droit d’usage devient trop compliqué pour les éleveurs en zone touriste et frontalière avec globalement un manque d’éducation des gens. Il faut arriver à faire reconnaître une différence entre celui qui produit et celui qui fait preuve d’oisiveté, sinon le territoire va se refermer. » Pour Christophe Buchet, « les éleveurs doivent être protégés dans leurs pratiques pour préserver leur santé économique et leur santé morale. Il faut un statut spécifique du chien de protection et de travail qui protège juridiquement les éleveurs des plaintes. Les chiens sont beaucoup d’efforts pour les éleveurs et notre première demande c’est d’en avoir moins et pour cela il faut moins de loups sur ce territoire » rappelle le Président de la FDSEA du Jura.
Un statut du chien qui avance à petits pas
Après ce temps de témoignages, les préfets ont tenté d’apporter des éléments de réponses aux questionnements sur la thématique développée le matin. Le préfet du Jura, Serge Castel a relevé la nécessité de mieux coordonner la communication sur les chiens de protection à l’échelle du Haut-Jura car des brochures et vidéos produites par le PNR du Haut-Jura existent mais elles ne sont pas assez visibles. Il a annoncé vouloir organiser une réunion avec les élus et acteurs du tourisme très rapidement pour avancer sur ce sujet. Quant à l’évolution du statut du chien de protection, c’est le préfet Celet qui a tenté d’apporter de timides réponses sur le sujet. « Avec la LOA, on reprend le travail et on devrait avoir une application par ordonnance. L’ambition est de ne pas tomber dans le cas par cas. Nous proposons d’avoir un niveau législatif qui définisse un statut au chien de protection et chien de travail en précisant les dispositions du code rural sur la divagation ou les aboiements ». Mais tout en temporisant, « nous ne pourrons pas dans la loi écarter la responsabilité de l’éleveur à priori. L’objectif serait plutôt de faire reconnaître la responsabilité du promeneur qui n’a pas respecter les règles mais ce ne sera pas facile » prévient le préfet. Ce dernier rappelle en outre que le Plan loup dispose d’un axe communication notamment envers les parquets, les gendarmes et les forces de l’ordre, ceci devant permettre une meilleure approche de leur part concernant les plaintes vis-à-vis des éleveurs et leurs chiens.
Entre colère et incompréhension
La deuxième partie de la journée était consacrée aux échanges entre les préfets et leurs services et les éleveurs de la Petite Montagne, territoire particulièrement touché par les attaques de loup depuis 2 ans. Le maire de Graye et Charnay dressait le tableau devant une trentaine de personnes, principalement des agriculteurs du coin dont certains ont subi la prédation de plein fouet, mais également des louvetiers et des parlementaires. Olivier Rochet qui accueillait avec son épouse l’assemblée sur son gaec a la chance de ne pas avoir subi de prédation sur son troupeau jusqu’à présent mais témoigne de ce que ressentent les éleveurs de la zone. « Tous les matins on va chercher les vaches la boule au ventre et on recompte les animaux tous les jours pour voir s’il n’en manque pas une. » Du côté des éleveurs prédatés, c’est plutôt la colère et l’incompréhension qui prédomine encore aujourd’hui, à l’image de Caroline Grandclément-Chaffy, éleveuse de brebis laitières. Le préfet du Jura a réaffirmé qu’il n’y avait pas d’ambiguïté sur les tirs de défense. « Lorsque que j’ai délivré une autorisation de tirs de défense simple et que le loup est en situation d’attaque dans la parcelle concernée par l’arrêté, c’est-à-dire à moins de 300 mètres du troupeau et allant en sa direction, les louvetiers peuvent tirer si les conditions de sécurité sont réunies, que le loup se trouve dedans ou en dehors des filets de protection. »
La brigade loup en Petite Montagne
Interpellé sur la convention de Berne, le Préfet Celet a expliqué que l’UE va demander à la convention de Berne le changement du statut du loup en passant de strictement protégé à protégé devant faciliter sa gestion à l’échelle européenne. Mais le processus impliquera plusieurs étapes dont la modification de la convention de Berne par ses signataires puis le vote à l’unanimité des membres de l’UE d’une modification de la directive habitat pour qu’enfin un nouveau plan loup puisse voir le jour. Il faudra donc encore beaucoup de patience aux éleveurs jurassiens avant de voir un bouleversement du protocole malgré la présence avérée du loup dans le département. « En attendant, quelles solutions proposez-vous pour régler le sort de ces 1 ou 2 loups isolés en Petite Montagne, mais bien visibles, » martelait le Président de la FDSEA soumettant l’idée du déploiement de plusieurs unités de louvetiers en même temps sur le territoire. Si le préfet exclu toute battue et appelle au respect du droit très protecteur du loup, il a annoncé l’arrivée prochaine de la brigade loup spécialisée venant des hautes Alpes durant plusieurs nuits en Petite Montagne.
PEB