En Bresse, à la limite Saône-et-Loire et Jura, le Gaec de la Chagne a réussi à concilier robot de traite, pâturage et autonomie protéique pour ses 120 vaches laitières et 40 vaches allaitantes. Les vaches sont désormais nourries avec 50 % d’ensilage d’herbe et avec 50 % d’ensilage de maïs. Une autonomie protéique qui réduit les achats extérieurs de protéines. Mais qui n’est pas de tout repos.
Le soleil vient de se lever, encore une belle journée ; toujours au bon moment, il est l’heure d’aller pâturer… si ce n’est pas de la chicorée que les vaches du Gaec de la Chagne vont pâturer chaque jour au Miroir (Saône-et-Loire), un vent de liberté souffle sur la plaine de Bresse au pied du Revermont voisin. Le nouveau bâtiment est en effet semi-ouvert à l’Ouest et à l’Est, avec des parois ouvrables (filets brise-vent) sur les longs pas. En cette fraîche journée du 2 décembre, les vaches ne semblent pas du tout souffrir du zéro degré extérieur. En été, au contraire, les chaleurs se font moindres avec le passage de l’air, brasser si besoin par des ventilateurs.Au Sud, le bâtiment donne sur une aire extérieure bétonnée, donnant elle-même accès ensuite à un des 20 paddocks d’un hectare de prairie en contrebas. Les vaches peuvent alors aller pâturer quand bon leur semble, sauf si elles doivent passer avant au robot de traite.À la question de la dizaine d’éleveurs présents à la porte ouverte organisée par le Département et la Chambre d’Agriculture de Saône-et-Loire pour donner des exemples concrets d’adaptation réussie au changement climatique, preuve est faite ici que pâturage et robot de traite peuvent fonctionner tout au long de l’année à condition de la portance et de la pousse pour ne pas dégrader les prairies.Benoit Rodot ne cachait pas toutefois que « la mise en route du bâtiment et robot a été un peu compliquée en 2021 ». Année particulièrement pluvieuse, avec des sols détrempés (juin/juillet) n’offrant pas la portance nécessaire… avant août. « Cette année 2022 s’est mieux passée », se félicite-t-il même s’il reconnaît avoir « encore des choses à apprendre » pour marier à la perfection robot et pâturage. Car le Gaec réfléchit à la cohérence de tout son système.
Les habituer a de la bonne herbe fraîche
Le Gaec de la Chagne gère 371 ha de prairies et céréales, possède un cheptel de 120 vaches laitières et 40 vaches allaitantes. Pour augmenter l’autonomie protéique de leur exploitation, ils ont diversifié les sources de fourrages de qualité : pâturage tournant dynamique donc, prairies temporaires de trèfle/luzerne pour la constitution de stocks d’herbe pour l’été, semis de méteils… Les vaches laitières sont désormais nourries avec 50 % d’ensilage d’herbe sous forme d’ensilage ou d’herbe paturée (600 t/an) et avec 50 % d’ensilage de maïs (600 t/an). Une autonomie protéique qui réduit les achats extérieurs de protéines dont les prix peuvent fluctuer.S’il ne croit pas possible de « couper l’alimentation à l’auge » totalement, lui et son frère Romain envisagent plus sereinement l’avenir avec leurs 20 ha d’herbes alentour pour un total de 50 vaches traites par robot.
Pour habituer les montbéliardes à sortir pâturer, chaque jour, ils ouvrent un paddock (1 ha) « pour que les vaches apprennent que lorsqu’elles sortent, c’est de la nouvelle herbe ».« Mettre 50 % d’herbe dans la ration, on n’y aurait pas cru il y a dix ans. Tout comme robot et pâturage. Pourtant, ça marche », témoignent les deux frères. À condition de faire un peu moins de cultures pour faire plus d’herbe, de prairies temporaires et de stocks. Et de prévoir quelques aménagements complémentaires, à l’intérieur du bâtiment, mais aussi dans les paddocks attenants désormais. En cet hiver 2022-2023, les associés vont installer des abreuvoirs dans presque tous les paddocks car « les vaches n’aiment pas faire la navette » jusqu’au bâtiment. Nécessaire pour maintenir la haute productivité des vaches l’été.À la question du pourquoi associer robot et pâturage, la réponse est la même : « on aime nos animaux et on fera tout pour leur bien-être. Le robot est aussi là pour le bien-être de l’éleveur. Il apporte de la souplesse au travail pour faire de la qualité », insistent les deux frères qui en revanche en conviennent, « tout ceci ne fait pas forcément diminuer le temps de travail ». Les économies sont plus à rechercher par l’herbe qui vient remplacer une partie des tourteaux achetés avant.
68 % d’autonomie protéique
Engagés dans l’AOP Crème et Beurre de Bresse depuis 2012, les deux frères - plus un salarié et un apprenti - livrent aujourd’hui à la laiterie La Bressane 1,3 million de litres de lait par an. Le cahier des charges de l’AOP vise entre autres un maximum d’autonomie protéique de l’élevage laitier. Romain et Benoit cherchent donc à « maximiser » leur production d’herbes afin de « se sécuriser car il n’y a plus aucune année qui se ressemble ». Pour cela, ils « jouent sur quatre tableaux » : le pâturage tournant dynamique, le ray-grass italien en dérobé (25 ha), le méteil avec surtout des protéagineux (20 ha) et des prairies temporaires (30 ha) « récentes » (RG anglais, trèfle, RG hybride, luzerne…). Ainsi, le Gaec de la Chagne a un taux d’autonomie protéique flirtant avec les 68 %, là où la moyenne départementale est plutôt autour de 48 % dans les élevages à plus de 9.000 kg/an en moyenne. Avec le robot, les vaches sont « complètement décyclées, la majorité est traite le matin dès 6h, d’autres commencent à midi et autant la nuit », avec en moyenne 2,8 traites (entre 2 et 4) par 24h.
Des pics d’activités à bien gérer
Tout n’est pas stabilisé pour autant, comme le rappelle Benoit, « le souci est qu’au printemps, on a une pousse d’herbe très forte, même trop dans les parcelles pâturées nous obligeant à en récolter une partie, et après, à partir du 15 juin jusqu’en septembre, on n’a plus rien dans le pâturage », obligeant à taper dans les stocks. Ces derniers doivent donc rester à des niveaux « plus qu’il n’en faut » par sécurité, ne sachant jamais la durée de « non pâturage » pour eux qui font du lait toute l’année. Deux pics d’activités se dégagent maintenant avec le réchauffement climatique : la première est de « se tenir prêts » à récolter pour ensiler à partir de mi-mars. En 2022, le pâturage et la pousse de l’herbe avaient débuté dès le 15 février. La seconde période est à l’arrière-saison, avec un automne « très poussant » et « une nouvelle tournée d’ensilages au 15 octobre ». À cette période, toute la question est de savoir si cela vaut le coût, littéralement, d’enrubanner par rapport à la quantité récoltée, par rapport aux frais mécaniques. « Ce peu d’herbe reste à gérer, lui qui a beaucoup d’azote, mais pas beaucoup d’UF mais on a réussi à la faire manger en partie », explique Benoit.Une partie des fourrages est produite sur des dérobées ; 17 % des fourrages sont produits après des céréales à paille et avant du maïs sur la période printemps, sous forme de ray-grass et de méteil. Côté cultures, soja, colza, tournesol… « on diversifie au maximum, il y a toujours une culture qui s’en sort mieux ».
Cédric Michelin