La production pourrait être divisée par 3 ou 4 par rapport aux années précédentes et des mortalités importantes sont redoutées à l’automne et pendant l’hiver prochain. Réunis au sein du Réseau Biodiversité pour les Abeilles, apiculteurs et agriculteurs alertent les pouvoirs publics.
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Après deux années de production en forte hausse, avec environ 35.000 tonnes de miel en 2022 et 2023, la situation est catastrophique cette année. Les faibles miellées d’été ont permis aux colonies de remplir les corps de ruches mais pas les hausses. Concrètement, quelques bassins de production ont pu s’appuyer sur le tournesol, la luzerne et le sarrazin pour préparer l’hiver en couvrant les besoins internes de la ruche mais sans production de miel. La crise annoncée de la filière appelle des réponses structurelles pour développer la ressource alimentaire des abeilles et améliorer le traitement sanitaire des colonies. Si la météo est évidemment responsable de cette crise, d’autres facteurs ne doivent pas être occultés comme les parasites, les virus et les carences alimentaires qui entraînent la faim des abeilles. Réunis au sein du Réseau Biodiversité pour les Abeilles, apiculteurs et agriculteurs appellent les pouvoirs publics à se mobiliser par des mesures pragmatiques pour enrayer le déclin des pollinisateurs et de la profession.
La météo capricieuse limite les floraisons
Si les agriculteurs déplorent des baisses de rendements sur leurs cultures en raison d’un manque de luminosité, les végétaux sauvages et subspontanés subissent le même sort depuis le printemps. Les perturbations météorologiques affectent l’ensemble des ressources florales. Dans la strate herbacée, la concurrence entre les graminées, c’est-à-dire les espèces sans fleurs, et les dicotylédones qui en produisent, tourne à l’avantage des premières. La température à partir de laquelle les végétaux connaissent une croissance est plus faible chez les graminées. Celles-ci commencent à pousser dès que le thermomètre affiche des niveaux positifs alors que les dicotylédones ont besoin d’une température minimale de 7 à 8 degrés pour se développer. Les fortes pluies enregistrées depuis des mois renforcent ce déséquilibre. En effet, avec leurs systèmes racinaires superficiels, les graminées se retrouvent alimentées en permanence.
D’ordinaire, dès que le mercure commence à grimper et que le soleil est présent, ces plantes herbacées sans intérêt pour les abeilles ralentissent leur croissance au profit d’espèces florales. Ce n’est pas le cas cette année. Pire, en atteignant une hauteur importante, elles privent les dicotylédones de la lumière nécessaire à leur développement. Ce cercle vicieux est responsable de floraisons très limitées. Le contexte météorologique fragilise également les colonies au plan sanitaire. Lorsque l’activité est normale, les butineuses sortent de la ruche pour aller butiner. Celles qui sont atteintes de pathologies ou de virus vont ainsi mourir à l’extérieur de la colonie. Cette année, les mouvements de collecte étant plus limités, les abeilles malades ont tendance à rester au sein de la ruche et à contaminer le reste de la colonie. Ce phénomène de claustration est amplifié par l’agressivité des agents biologiques qui surfent sur une défense immunitaire affaiblie du fait d’une ressource florale insuffisante.
Le bol alimentaire, premier rempart contre les mortalités d’abeilles
Depuis le début de l’année apicole, les abeilles ont été confrontées à une famine. Les apports quotidiens en pollen, unique source d’acides aminés, sont pourtant indispensables pour maintenir de bonnes défenses immunitaires chez les abeilles. La colonie doit avoir accès à une ressource de qualité, diversifiée et en quantité suffisante. C’est la combinaison de ces trois facteurs qui permet aux abeilles d’être en bonne santé et de résister aux multiples agresseurs, à commencer par le Varroa. Cet acarien originaire de Chine est l’ennemi numéro un des abeilles. Agissant à la manière d’une tique, il pompe l’hémolymphe des abeilles tout en propageant des cortèges de virus. Il affaiblit ainsi les abeilles et génère un stress important qui perturbe le développement des colonies. Également originaire d’extrême orient, le Nosema ceranæ est un parasite interne de l’abeille qui affecte sa flore intestinale et la rend vulnérable aux différentes pathologies pouvant entraîner sa mort. Plus inquiétant, le Tropilaelaps, nouveau parasite en provenance d’Asie du Sud Est, est aux portes de l’Europe.
Le gagnant-gagnant apiculture-agriculture pour sortir de la crise
S’il est impossible d’avoir une quelconque maîtrise de la météo, il est urgent d’agir pour en atténuer les effets. La catastrophe annoncée pour l’apiculture française cette année révèle le manque d’ambition et de vision pour la filière. Il y a urgence à actionner tous les leviers disponibles pour augmenter la ressource florale. Les productions agricoles mellifères doivent être soutenues par la puissance publique. Les contraintes réglementaires qui pèsent sur les producteurs de tournesols, en particulier pour l’utilisation des variétés tolérantes en post-levée, doivent être réduites. Ces innovations variétales permettent de maintenir la production de tournesol dans ces bassins confrontés à une forte pression de l’ambroisie, espèce invasive et fortement allergène. L’allègement réglementaire permettra de pérenniser une culture pivot pour les assolements et stratégiques dans l’économie apicole. Le soutien au colza et à la luzerne doit également être réaffirmé. En parallèle, les jachères apicoles, véritables garde-manger pour abeilles, doivent bénéficier de mesures incitatives. Par leur composition, ces oasis de biodiversité sont en partie préservées des caprices du ciel. Des études menées par le Réseau Biodiversité pour les Abeilles confirment leur efficacité ; leurs présences sur 0,5% de la zone de butinage des abeilles assurent en moyenne 75% des apports en pollen et en nectar pour les colonies. Injustement accusés depuis trop longtemps de provoquer les mortalités d’abeilles, les agriculteurs sont en réalité respectueux des butineuses et jouent un rôle majeur pour les préserver. Il faut les encourager dans ce chemin vertueux et trop méconnu du grand public.
« C’est en reconnaissant le lien unique qui rassemble l’apiculture et l’agriculture que la filière pourra sortir durablement de la crise. Par sa fonction de pollinisation, l’abeille est l’alliée des agriculteurs en agissant directement sur la qualité des productions et sur les rendements. En retour, les colonies bénéficient de ressources alimentaires indispensables à la production de miel et au maintien de leur défenses immunitaires. C’est également une économie apicole prospère qui garantit la présence des pollinisateurs dans le milieu rural. C’est tout simplement du gagnant-gagnant entre apiculture et agriculture » résume Philippe Lecompte, apiculteur bio professionnel et président du Réseau Biodiversité pour les Abeilles.
D’après communiqué
Le Réseau Biodiversité pour les Abeilles
Fondé par Philippe Lecompte, apiculteur bio professionnel à Ville en Tardenois (Champagne), le Réseau Biodiversité pour les Abeilles s’impose depuis sa création en 2007 comme l’expert de l’alimentation des colonies. Acteur innovant et incontournable dans la déclinaison de la biodiversité en France, il coordonne le développement et la mise en place de jachères apicoles et d’intercultures mellifères. Véritables garde-manger pour abeilles, ces oasis de biodiversité sont réparties sur l’ensemble du territoire et contribuent de manière efficace au renouvellement du dialogue entre apiculteurs et agriculteurs grâce à un partenariat gagnant - gagnant.